© Photo: Art Rachen – Unsplash

Les crypto-monnaies ont passé le cap de la disruption


par Steen Jakobsen
Saxo Bank
Chef Economiste

Les crypto-actifs bénéficient désormais d’une importante popularité et séduisent de plus en plus les épargnants privés comme les institutionnels. Le marché des crypto-monnaies n’est plus dominé exclusivement par des technophiles et des adeptes purs et durs, il s’agit désormais d’un secteur en pleine croissance qui pourrait atteindre sa masse critique en s’appuyant très naturellement sur la progression de la blockchain comme « monnaie » de transaction.

Plusieurs défis et opportunités accompagnent cependant ce secteur à mesure qu’il gagne en maturité. Ils concernent la fiscalité, la réglementation et l’environnement. Devenir « mainstream » requiert en effet des solutions de rupture et des innovations, car les cryptomonnaies sont en concurrence avec l’univers bancaire et technologique traditionnel ainsi qu’avec les monnaies numériques lancées par les gouvernements et les banques centrales. Chez Saxo Bank, nous croyons fortement en ce secteur et notamment en sa capacité d’adaptation, de productivité, d’innovation et à son esprit d’entreprise.

Spéculateurs et effet de levier
Entre 2020 et 2021, le nombre de comptes actifs de trading en crypto-monnaies a augmenté significativement. De nouveaux traders sont entrés sur le marché et se sont basés sur des opinions émises sur les forums internet et les réseaux sociaux. Nombre d’entre eux ont subi de lourdes pertes en raison de leurs positions surendettées lors du krach cryptographique de mai. Enclins à paniquer, ils sont souvent des relais lors d’événements majeurs sur les marchés. Selon une récente enquête de la FCA (Financial Conduct Authority) sur les crypto-monnaies au Royaume-Uni, les estimations démontrent une augmentation du nombre de détenteurs de crypto-monnaies. Cependant, le niveau de compréhension du secteur est en baisse suggérant que certains utilisateurs peuvent ne pas comprendre pleinement ce qu’ils achètent.

Vers des cryptomonnaies plus vertes
La plupart des crypto-monnaies, dont les plus anciennes telles que le Bitcoin ou l’Ethereum, utilisent un algorithme de « preuve de travail » pour faire fonctionner leur blockchain. Ce dernier fait actuellement l’objet d’une opposition mondiale en raison de sa consommation massive en énergie. Ceci ouvre la voie à d’autres crypto-monnaies qui utilisent la « preuve d’enjeu » pour la vérification des transactions, cette dernière étant moins consommatrice d’énergie. Il est certain que l’évolution de l’agenda vert mondial déterminera dans les années à venir le classement des crypto-monnaies. En effet certains pays comme la Chine ou l’Iran ont partiellement interdit des activités de minages pour ces raisons. De plus, certaines crypto-monnaies vont changer de système, comme l’Ethereum, qui devrait passer à un système de « preuve d’enjeu » d’ici la fin de l’année 2021.

Adoption par les institutions

Au cours de l’année écoulée, les grandes institutions financières ont introduit des services autour des crypto-actifs à destination de leurs clients, de grandes entreprises les ont également ajoutés à leur bilan. L’intérêt croissant des institutions et l’enthousiasme grandissant à l’égard de la DeFi (« finance décentralisée »), grâce à laquelle les entrepreneurs du secteur des crypto-monnaies peuvent recréer des instruments financiers standard échappant au contrôle des entreprises ou des gouvernements, ont été des moteurs importants de la hausse des crypto-monnaies.

Adaptabilité du secteur et cryptomonnaies de 3ème génération
Les principales crypto-monnaies, Bitcoin et Ethereum, sont confrontées à des problèmes majeurs de bande passante, traitant respectivement entre 7 et 10-15 transactions par seconde. La popularité accrue des échanges de crypto-monnaies au cours de l’année écoulée a entraîné des frais de transaction record, car les opérateurs se font concurrence.

De nombreuses crypto-monnaies de nouvelle génération ont été créées sans limitations de transaction. Mais, plus il y a de transactions par seconde, moins il y a de mineurs pour vérifier chaque transaction, ceci nécessitant par conséquent des protocoles de sécurité appropriés. Quand les transactions sont nombreuses, toutes les informations ne peuvent pas être distribuées et traitées sur une seule blockchain en raison de contraintes de mémoire. Les nouvelles crypto-monnaies tentent de diviser la blockchain en fragments, afin de traiter moins d’informations, mais elles ont besoin de solutions technologiques supplémentaires pour connecter les fragments.

Reste à savoir si l’«avantage du précurseur» du Bitcoin et de l’Ethereum sera suffisant pour l’emporter sur les crypto-monnaies de troisième génération, même si les deux pionniers sont en train de modifier leurs technologies. Par exemple, le consensus autour de la première mise à niveau du Bitcoin en quatre ans, Taproot, a été atteint en juin 2021, avec une mise en œuvre prévue en novembre 2021. Cette mise à niveau vise à améliorer la confidentialité, l’évolutivité et la sécurité du réseau Bitcoin.

Vers un marché de plus en plus réglementé
Les gouvernements tentent toujours d’établir un cadre légal pour les cryptomonnaies. Certains prennent des mesures drastiques à leur égard, tandis que d’autres considèrent que l’utilisation des cryptomonnaies ne peut être évitée et cherchent donc des moyens d’inclure et de réglementer les crypto-monnaies. De plus, l’anonymat entourant le commerce des crypto-monnaies s’affaiblit progressivement, car les principales bourses de crypto-monnaies sont obligées de divulguer des informations sur les transactions les plus importantes et d’introduire un contrôle KYC (know-your-customer) pour les clients. Cette transparence est en opposition avec la philosophie initiale des cryptomonnaies.

Les interdictions totales ou partielles de négocier et stocker des crypto-monnaies et de les utiliser pour les paiements sont à l’ordre du jour dans plusieurs pays comme la Chine ou la Turquie, mais également l’Argentine. D’autres pays ont une position plus souple comme la Russie. La Commission européenne, quant à elle, a annoncé un ensemble de mesures sur la finance numérique en septembre 2020. Si Valdis Dombrovskis, vice-président exécutif pour une économie au service des personnes de l’UE, clame que « l’avenir de la finance est numérique », il propose un nouveau cadre réglementaire aux crypto-actifs afin « d’embrasser la transformation numérique de manière proactive » mais également en « atténuant les risques potentiels ». Il comprend le règlement sur les marchés des crypto-actifs (MiCA), qui vise à « fournir une clarté et une sécurité juridiques aux émetteurs et fournisseurs de crypto-actifs ».

Monnaie numérique des banques centrales (CBDC – Central Bank Digital Currency)
Les projets pilotes de CBDC se multiplient dans le monde. Ces cryptoactifs sont des monnaies digitales émises, contrôlées et réglementées par une banque centrale ou pas une zone monétaire. Les Bahamas, par exemple, ont lancé des CBDC à usage public. Le Cambodge ou la Chine expérimentent également ce type de projets.

La banque centrale européenne a initié en juillet 2021 le projet d’euro numérique avec pour objectif de soutenir la numérisation de l’économie européenne et de stimuler l’innovation dans le domaine des paiements de détail. Cette monnaie numérique participerait également à préserver l’autonomie des systèmes de paiement nationaux et l’utilisation internationale d’une monnaie dans un monde numérique », tout en stimulant les transactions transfrontalières à moindre coût.

Le Salvador a récemment opté pour une autre approche. Il est devenu le premier pays au monde à adopter le bitcoin comme monnaie légale qui est autorisée pour le paiement des impôts par exemple.

Une réserve de valeur ?
Certains y voient « l’or du millénaire », car l’utilisation et l’adoption accrues des cryptomonnaies en 2021 les ont convaincus qu’une masse critique d’investisseurs crédibles avait été atteinte. Cependant, pour qu’une cryptomonnaie soit considérée comme une réserve de valeur, une plus faible volatilité des prix et une utilisation réelle démontrée sont encore nécessaires.

A l’instar de l’offre limitée en or, le bitcoin semble initialement être le meilleur candidat pour une réserve de valeur. L’Ethereum, est quant à lui inflationniste par nature car il émet quotidiennement des ETH lors du traitement de chaque transaction car sa masse monétaire n’est pas limitée. Afin d’en limiter l’inflation et à limiter l’offre d’ETH, la récente mise à jour baptisée « London » a mis en place un processus visant à brûler des ETH à chaque fois que des transactions sont effectuées.

Si le secteur des cryptomonnaies devient désormais « mainstream » avec son incroyable popularité, de nombreux défis restent encore à venir, et notamment celui de la sécurité en raison de la nature numérique de ces actifs et de la menace d’une faille qui pourrait faire atteindre la réputation de tout cet écosystème. |


Rappel: Investir comporte des risques. La valeur de tout investissement et de tout revenu généré peut varier à la baisse comme à la hausse et n’est pas garantie.
Les performances passées ne préjugent en rien des résultats futurs.